Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/152

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’absence des parens et des amis derrière les chars funèbres ; c’était les conducteurs doublant le pas, jurant et fouettant les chevaux, c’était les passans s’éloignant avec effroi du hideux cortége, c’était la rage des ouvriers qui croyaient à une fantastique mesure d’empoisonnement et qui levaient leurs poings fermés contre le ciel ; c’était, quand ces groupes menaçans avaient passé, l’abattement ou l’insouciance qui rendaient toutes les physionomies irritantes ou stupides.

J’avais pensé à me sauver, à cause de ma fille ; mais tout le monde disait que le déplacement et le voyage étaient plus dangereux que salutaires, et je me disais aussi que si l’influence pestilentielle s’était déjà, à mon insu, attachée à nous, au moment du départ, il valait mieux ne pas la porter à Nohant, où elle n’avait pas pénétré et où elle ne pénétra pas.

Et puis, du reste, dans les dangers communs dont rien ne peut préserver, on prend vite son parti. Mes amis et moi, nous nous disions que le choléra s’adressant plus volontiers aux pauvres qu’aux riches, nous étions parmi les plus menacés, et devions, par conséquent, accepter la chance sans nous affecter du désastre général où chacun de nous était pour son compte, aussi bien que ces ouvriers furieux ou désespérés qui se croyaient l’objet d’une malédiction particulière.

Au milieu de cette crise sinistre, survint le drame poignant du Cloître Saint-Méry. J’étais