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conditions, on a dû reconnaître qu’il ne suffisait pas de rendre les citoyens égaux devant la loi. Je me hasarde même à penser qu’il n’eût pas suffi de les rendre égaux devant la fortune. Il eût fallu pouvoir les rendre égaux devant le sens de la vérité.

Trop d’ambition, de loisir et de pouvoir d’un côté ; de l’autre, trop d’indifférence pour la participation au pouvoir et aux nobles loisirs, voilà ce qu’on a trouvé au fond de cette nation d’où l’homme véritable avait disparu, si tant est qu’il y eût jamais existé. Des hommes du peuple éclairés d’une soudaine intelligence et poussés par de grandes aspirations ont surgi, et se sont trouvés sans influence et sans prestige sur leurs frères. Ces hommes-là étaient généralement sages, et se préoccupaient de la solution du travail. La masse leur répondait :

« Plus de travail, ou l’ancienne loi du travail. Faites-nous un monde tout neuf, ou ne nous tirez pas de notre corvée par des chimères. Le nécessaire assuré, ou le superflu sans limites : nous ne voyons pas le milieu possible, nous n’y croyons pas, nous ne voulons pas l’essayer, nous ne pouvons pas l’attendre. »

Il le faudra pourtant bien. Jamais les machines ne remplaceront l’homme d’une manière absolue, grâce au ciel, car ce serait la fin du monde. L’homme n’est pas fait pour penser toujours. Quand il pense trop il devient fou, de