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qui a besoin d’ordre immuable et de sécurité absolue est un événement terrible, ou tout au moins une crise difficile. Les amitiés du dehors ne peuvent rien pour elles. Les choses humaines n’ont de valeur à leurs yeux qu’en raison du plus ou moins d’aide qu’elles apportent à leurs conditions d’existence exceptionnelle. Je ne regrettai plus le couvent en voyant que là l’idéal était soumis à de telles éventualités. La vie d’une communauté c’est tout un monde à immobiliser, et le canon de juillet ne s’était pas inquiété de la paix des sanctuaires.

Moi, j’avais l’idéal logé dans un coin de ma cervelle, et il ne me fallait que quelques jours d’entière liberté pour le faire éclore. Je le portais dans la rue, les pieds sur le verglas, les épaules couvertes de neige, les mains dans mes poches, l’estomac un peu creux quelquefois, mais la tête d’autant plus remplie de songes, de mélodies, de couleurs, de formes, de rayons et de fantômes. Je n’étais plus une dame, je n’étais pas non plus un monsieur. On me poussait sur le trottoir comme une chose qui pouvait gêner les passans affairés. Cela m’était bien égal, à moi qui n’avais aucune affaire. On ne me connaissait pas, on ne me regardait pas ; on ne me reprenait pas ; j’étais un atome perdu dans cette immense foule. Personne ne disait comme à La Châtre :

« Voilà madame Aurore qui passe ; elle a toujours le même chapeau et la même robe ; »