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vécu, je devais rencontrer probablement plus d’un blâme sévère. Je ne voulus pas m’y exposer. Je vis à faire mon choix et à savoir quelles amitiés me seraient fidèles, quelles autres se scandaliseraient. À première vue, je triai un bon nombre de connaissances dont l’opinion m’était à peu près indifférente, et à qui je commençai par ne donner aucun signe de vie. Quant aux personnes que j’aimais réellement et dont je devais attendre quelque réprimande, je me décidai à rompre avec elles sans leur rien dire.

« Si elles m’aiment, pensai-je, elles courront après moi, et si elles ne le font pas, j’oublierai qu’elles existent, mais je pourrai toujours les chérir dans le passé ; il n’y aura pas eu d’explication blessante entre nous ; rien n’aura gâté le pur souvenir de notre affection. »

Au fait, pourquoi leur en aurais-je voulu ? Que pouvaient-elles savoir de mon but, de mon avenir, de ma volonté ? Savaient-elles, savais-je moi-même, en brûlant mes vaisseaux, si j’avais quelque talent, quelque persévérance ? Je n’avais jamais dit à personne le mot de l’énigme de ma pensée, je ne l’avais pas trouvé encore d’une manière certaine ; et quand je parlais d’écrire, c’était en riant et en me moquant de la chose et de moi-même.

Une sorte de destinée me poussait cependant. Je la sentais invincible, et je m’y jetais résolûment : non une grande destinée, j’étais trop indépendante