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quand, à l’âge où l’on peut tout lire, je compris toute l’histoire d’Achille et de Patrocle, d’Harmodius et d’Aristogiton. Ce fut justement le chapitre de Montaigne sur l’amitié qui m’apporta cette désillusion, et dès lors ce même chapitre si chaste et si ardent, cette expression mâle et sainte d’un sentiment élevé jusqu’à la vertu, devint une sorte de loi sacrée applicable à une aspiration de mon âme.

J’étais pourtant blessée au cœur du mépris que mon cher Montaigne faisait de mon sexe quand il disait :

« À dire vray, la suffisance ordinaire des femmes n’est pas pour respondre à cette conférence et communication nourrisse de cette sainte cousture : ny leur âme ne semble assez ferme pour soustenir restreinte d’un nœud si pressé et si durable. »

En méditant Montaigne dans le jardin d’Ormesson, je m’étais souvent sentie humiliée d’être femme, et j’avoue que, dans toute lecture d’enseignement philosophique, même dans les livres saints, cette infériorité morale attribuée à la femme a révolté mon jeune orgueil. « Mais cela est faux ! m’écriai-je ; cette ineptie et cette frivolité que vous nous jetez à la figure, c’est le résultat de la mauvaise éducation à laquelle vous nous avez condamnées, et vous aggravez le mal en le constatant. Placez-nous dans de meilleures conditions, placez-y les hommes aussi : faites qu’ils soient purs, sérieux et forts de volonté,