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ses agitations secrètes n’est pas digne du bienfait de l’amitié. Je dois dire qu’en général j’ai été heureuse sous ce rapport, et que, malgré la confiance romanesque dont on m’a souvent raillée, j’ai eu, en somme, l’instinct de découvrir les belles âmes et d’en conserver l’affection. Je dois dire aussi que, n’étant pas du tout coquette, ayant même une sorte d’horreur pour cette étrange habitude de provocation dont ne se défendent pas toutes les femmes honnêtes, j’ai rarement eu à lutter contre l’amour dans l’amitié. Aussi, quand il a fallu l’y découvrir, je ne l’ai jamais trouvé offensant, parce qu’il était sérieux et respectueux.

Quant à Rollinat, il n’est pas le seul de mes amis qui m’ait fait, du premier jour jusqu’à celui-ci, l’honneur de ne voir en moi qu’un frère. Je leur ai toujours avoué à tous que j’avais pour lui une sorte de préférence inexplicable. D’autres m’ont, autant que lui, respectée dans leur esprit et servie de leur dévouement, d’autres que le lien des souvenirs d’enfance devrait pourtant me rendre plus précieux : ils ne me le sont pas moins ; mais c’est parce que je n’ai pas ce lien avec Rollinat, c’est parce que notre amitié n’a que vingt-cinq ans de date, que je dois la considérer comme plus fondée sur le choix que sur l’habitude. C’est d’elle que je me suis souvent plu à dire avec Montaigne :

« Si on me presse de dire pourquoy je l’aime,