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feu roulant d’esprit, des situations charmantes et un dialogue tout inspiré de la verve de Molière ; mais il est certain que le sujet de l’intrigue et la crudité des détails étaient un anachronisme. Et puis, la jeunesse était romantique. Delatouche avait mortellement blessé ce qu’on appelait alors la pléiade, en publiant un article intitulé la Camaraderie ; moi seule peut-être dans la salle, j’aimais à la fois Delatouche et les romantiques.

Dans les entr’actes, je causai jusqu’à la fin avec le vieux avocat, qui jugeait bien et sainement le fort et le faible de la pièce. Il aimait à parler et s’écoutait lui-même plus volontiers que les autres. Content d’être compris, il me prit en amitié, me demanda mon nom et m’engagea à l’aller voir. Je lui dis un nom en l’air qu’il s’étonna de ne pas connaître, et lui promis de le voir en Berry. Il conclut en me disant :

« M. Dufresne ne m’avait pas trompé : vous êtes un enfant remarquable. Mais je vous trouve faible sur vos études classiques. Vous me dites que vos parens vous ont élevé à la maison, et que vous n’avez fait ni ne comptez faire vos classes. Je vois bien que cette éducation a son bon côté : vous êtes artiste, et, sur tout ce qui est idée ou sentiment, vous en savez plus long que votre âge ne le comporte. Vous avez une convenance et des habitudes de langage qui me font croire que vous pourrez un jour écrire avec succès. Mais, croyez-moi, faites vos études classiques.