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de l’avoir jamais vu. M. Rollinat le père était le premier avocat de notre département.

Pendant qu’il causait avec Mlle Leverd, M. Duris-Dufresne, qui était à l’orchestre, monta au balcon pour me dire bonjour. Il m’avait déjà vue déguisée, et s’asseyant un instant à la place vide de M. Rollinat, il me parla, je m’en souviens, de la Fayette, avec qui il voulait me faire faire connaissance. M. Rollinat revint à sa place et ils se parlèrent à voix basse ; puis le député se retira en me saluant avec un peu trop de déférence pour le costume que je portais. Heureusement l’avocat n’y fit pas attention et me dit en se rasseyant :

« Ah çà, il paraît que nous sommes compatriotes ? Notre député vient de me dire que vous étiez un jeune homme très distingué. Pardon, moi, j’aurais dit un enfant. Quel âge avez-vous donc ? Quinze ans, seize ans ? — Et vous, monsieur, lui dis-je, vous qui êtes un avocat très distingué, quel âge avez-vous donc ? — Oh ! moi ! reprit-il en riant, j’ai passé la septantaine. — Eh bien, vous êtes comme moi, vous ne paraissez pas avoir votre âge. »

La réponse lui fut agréable, et la conversation s’engagea. Quoique j’aie toujours eu fort peu d’esprit, si peu qu’en ait une femme, elle en a toujours plus qu’un collégien. Le bon père Rollinat fut si frappé de ma haute intelligence qu’à plusieurs reprises il s’écria : « Singulier, singulier ! »

La pièce tomba violemment, malgré un