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que le jour où je redevenais monsieur. Ce brave et honnête père Pinson ! Il était l’ami de ses cliens, et quand ils n’avaient pas de quoi payer, non seulement il attendait, mais encore il leur ouvrait sa bourse. Pour moi, bien que j’aie fort peu mis son obligeance à contribution, j’ai toujours été reconnaissante de sa confiance comme d’un service rendu.

Mais c’est à la première représentation de la Reine d’Espagne, de Delatouche, que j’eus la comédie pour mon propre compte.

J’avais des billets d’auteur, et cette fois je me prélassais au balcon, dans ma redingote grise, au-dessous d’une loge où Mlle Leverd, une actrice de grand talent qui avait été jolie, mais que la petite-vérole avait défigurée, étalait un superbe bouquet qu’elle laissa tomber sur mon épaule. Je n’étais pas dans mon rôle au point de le ramasser.

« Jeune homme, me dit-elle d’un ton majestueux, mon bouquet ! Allons donc ! »

Je fis la sourde oreille.

« Vous n’êtes guère galant, me dit un vieux monsieur qui était à côté de moi, et qui s’élança pour ramasser le bouquet. À votre âge, je n’aurais pas été si distrait. »

Il présenta le bouquet à Mlle Leverd, qui s’écria en grasseyant :

« Ah ! vraiment, c’est vous, monsieur Rollinat ? »

Et ils causèrent ensemble de la pièce nouvelle. — Bon, pensai-je ; me voilà auprès d’un compatriote qui me reconnaît peut-être, bien que je ne me souvienne pas