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que ton père manquait d’argent, il avait imaginé de m’habiller en garçon. Ma sœur en fit autant, et nous allions partout à pied avec nos maris, au théâtre, à toutes les places. Ce fut une économie de moitié dans nos ménages. »

Cette idée me parut d’abord divertissante et puis très ingénieuse. Ayant été habillée en garçon durant mon enfance, ayant ensuite chassé en blouse et en guêtres avec Deschartres, je ne me trouvai pas étonnée du tout de reprendre un costume qui n’était pas nouveau pour moi. À cette époque, la mode aidait singulièrement au déguisement. Les hommes portaient de longues redingotes carrées, dites à la propriétaire, qui tombaient jusqu’aux talons et qui dessinaient si peu la taille que mon frère, en endossant la sienne à Nohant, m’avait dit en riant : « C’est très joli, cela, n’est-ce pas ? C’est la mode, et ça ne gêne pas. Le tailleur prend mesure sur une guérite, et ça irait à ravir à tout un régiment. »

Je me fis donc faire une redingote-guérite en gros drap gris, pantalon et gilet pareils. Avec un chapeau gris et une grosse cravate de laine, j’étais absolument un petit étudiant de première année. Je ne peux pas dire quel plaisir me firent mes bottes : j’aurais volontiers dormi avec, comme fit mon frère dans son jeune âge, quand il chaussa la première paire. Avec ces petits talons ferrés, j’étais solide sur le trottoir. Je voltigeais d’un bout de Paris à l’autre. Il me semblait que j’aurais