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Cela était au-dessus de mes forces à moins de renoncer à écrire. J’y songeai sérieusement. En me renfermant à la campagne toute l’année, j’espérais vivre de Nohant, et vivre fort satisfaite en consacrant ce que je pouvais avoir de lumière dans l’âme à instruire mes enfants ; mais je m’aperçus bien vite que le professorat ne me convenait pas du tout, ou, pour mieux dire, que je ne convenais pas du tout à la tâche toute spéciale du professorat. Dieu ne m’a pas donné la parole ; je ne m’exprimais pas d’une manière assez précise et assez nette, outre que la voix me manquait au bout d’un quart d’heure. D’ailleurs, je n’avais pas assez de patience avec mes enfants, j’aurais mieux enseigné ceux des autres. Il ne faut peut-être pas s’intéresser passionnément à ses élèves. Je m’épuisais en efforts de volonté, et je trouvais souvent dans la leur une résistance qui me désespérait. Une jeune mère n’a pas assez d’expérience des langueurs et des préoccupations de l’enfance. Je me rappelais les miennes cependant ; mais, me rappelant aussi que si on ne les avait pas vaincues malgré moi, je serais restée inerte ou devenue folle, je me tuais à lasser la résistance, ne sachant pas la briser.

Plus tard j’ai appris à lire à ma petite-fille, et j’ai eu de la patience, quoique je l’aimasse passionnément aussi ; mais j’avais beaucoup d’années de plus !

Dans l’irrésolution où je fus quelque temps relativement à l’arrangement de ma vie, en vue du mieux possible pour ces chers enfants, une question sérieuse fut débattue dans ma conscience. Je me demandais si je devais accepter l’idée que Chopin s’était faite de fixer son existence auprès de la mienne. Je n’eusse pas hésité à dire non si j’eusse pu savoir alors combien peu de temps la vie retirée et la solennité de la campagne convenaient à sa santé morale et physique. J’attribuais encore son désespoir et son horreur de Majorque à l’exaltation de la fièvre et à