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HISTOIRE DE MA VIE

l’abîme béant et la misère pullulante. Et Ton voit qu’en me servant de cet exemple, je suppose que tout a été pour le mieux, que le clergé et les couvents n’ont jamais employé leurs biens qu’à faire l’aumône et que la vente des biens nationaux n’a enrichi que des pauvres, ce qui n’est pas absolument vrai, on le sait de reste.

Oui, oui, hélas ! la charité est impuissante, l’aumône inutile. Il est arrivé, il arrivera encore, que des crises violentes forceront les dictatures, qu’elles soient populaires ou monarchiques, à tailler dans le vif et à exiger de la part des classes riches des sacrifices considérables. Ce sera le droit du moment, mais jamais un droit absolu, selon les hommes, si un principe nouveau ne vient le consacrer d’une manière éternelle dans la libre croyance de tous les hommes.

Les gouvernements, quels qu’ils soient, n’y peuvent guère encore. Ne les accusez pas trop. A supposer qu’ils voulussent inaugurer à tout prix ce principe de salut universel sous une forme quelconque, ils le voudraient en vain. La résistance des masses brisera toujours la volonté des individus, quelque ardente, quelque miraculeuse qu’elle puisse être. Toute dictature est un rêve, si ce n’est celle du temps.

Et cependant, que faire, nous autres individus de bonne intention ? Nous abstenir ou nous immoler !

Je me suis mille fois posé ce problème, et je ne l’ai pas résolu. La loi du Christ : Vendez tout, donnez l’argent aux pauvres et suivez-moi, est interdite aujourd’hui par les lois humaines. Je n’ai pas le droit de vendre mes biens et de les donner aux pauvres. Quand même des constitutions particulières de propriété ne s’y opposeraient pas, la loi morale de l’hérédité des biens, qui entraîne celle de l’hérédité d’éducation, de dignité et d’indépendance, nous l’interdit absolument, sous peine d’infraction aux devoirs de la famille. Nous ne sommes pas libres d’imposer le