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HISTOIRE DE MA VIE

importunité délirante n’a qu’un bon résultat, qui est de vous inspirer un vif intérêt et une joyeuse sollicitude pour le talent modeste et vrai qui veut bien se révéler à vous. On est pressé alors de reporter sur lui le bon vouloir que tant d’aberrations et de prétentions vous ont lorcé de refouler.

Ainsi, à peine arrivée au résultat que j’avais poursuivi, une double déception m’apparut. Indépendance sous ces deux formes , l’emploi du temps et l’emploi des ressources, voilà ce que je croyais tenir, voilà ce qui se transforma en un esclavage irritant et continuel. En voyant combien mon travail était loin de suffire aux ex^’gences de la misère environnante, je doublai, je triplai, je quadruplai la dose du travail. Il y eut des moments où elle fut excessive et oii je me reprochai les heures de repos et de distraction nécessaires, comme une mollesse de l’âme, comme une satisfaction de l’égoïsme. Naturellement absolue dans mes convictions, je fus longtemps gouvernée par la loi de ce travail forcé et de cette aumône sans bornes, comme je l’avais été par l’idée catholique, au temps où je m’interdisais les jeux et la gaieté de l’adolescence pour m’absorber dans la prière et dans la contemplation.

Ce ne fut qu’en ouvrant ma pensée au rêve d’une grande réforme sociale que je me consolai, par la suite, de l’étroitesse et de l’impuissance de mon dévouement. Je m’étais dit, avec tant d’autres, que certaines bases sociales étaient indestructibles, et que le seul remède contre les excès de l’inégalité était dans le sacrifice individuel, volontaire. Mais €’est la porte ouverte aux égoïstes aussi bien qu’aux dévoués, cette théorie de l’aumône particulière. On y entre tout entier ou on fait semblant d’y entrer. Personne n’est là pour constater que vous êtes dedans ou dehors. Il y a bien une loi religieuse qui vous prescrit de donner, non pas votre superflu, mais jusqu’au nécessaire ; il y a bien une opinion qui vous conseille la charité : mais il n’est