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HISTOIRE DE MA VIE

avouent qu’ils sont sans éducation aucune, qu’ils ne sont propres à rien, mais que, sous peine de manquer d’humanité, il faut leur trouver quelque chose à faire. Il y a aussi me série d’ouvriers démocrates qui ont résolu le problème social et qui feront disparaître la misère de notre société, si on leur donne de quoi publier leur système. Ceux-là sont infaillibles. Quiconque en doute est vendu à l’orgueil, à l’avarice et à l’égoïsme. Il y a encore une série de petits commerçants ruinés qui ont besoin de cinq ou six mille francs pour racheter un fonds de boutique. « Gela est une misère pour vous ! disent-ils ; vous êtes bonne, vous ne me refuserez pas.» Il y a enfin des peintres, des musiciens, qui n’ont pas de succès parce qu’il ont trop de génie et que la jalousie des maîtres les repousse ; il y a des soldats engagés qui voudraient se racheter, des juifs qui demandent des autographes pour les vendre, des demoiselles qui veulent entrer chez moi comme femmes de chambre pour être mes élèves en littérature. J’ai chez moi des armoires pleines de lettres saugrenues, de manuscrits fabuleux, de romances ou d’opéras de l’autre monde, et des théories sociales à sauver tous les habitants du système planétaire. Tout cela avec un post-scriptum portant demande d’un petit secours en attendant, et en double ou triple récidive, avec injures à la seconde sommation et menaces à la troisième.

Et pourtant j’ai la patience de lire toutes les lettres quand elles ne sont pas impossibles à déchiffrer, quand elles ne sont pas de seize pages en caractères microscopiques. J’ai la conscience de commencer toutes les élucubrations philosophiques, musicales et littéraires, et de les continuer quand je ne suis pas révoltée à la première page par des fautes trop grossières ou des aberrations trop révoltantes.

Quand je vois une ombre de talent, je mets à part et je réponds. Quand j’en vois beaucoup, je m’en occupe tout à lait Ces derniers ne me donnent pas grande besogne ; mais^