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HISTOIRE DE MA VIE

dans des marsardes hideuses. Je vis des enfants desséchés de faim, rongés de plaies, et quand j’eus porté là des secours, je découvris, un beau matin, que ces mansardes et ces enfants étaient loués pour une exhibition de guenilles et de maladies, qu’ils n’appartenaient pas à la femme qui pleurait sur eux devant moi et qui les mettait à la porte à grands coups de balai quand j’étais partie.

J’envoyai une fois chez un poëte malheureux, qui devait être trouvé asphyxié, comme Escousse, si, à telle heure, il ne recevait pas ma réponse. On frappa en vain, il faisait le mort. On enfonça la porte : on le trouva mangeant des saucisses.

Pourtant, comme au milieu de cette vermine qui s’attache aux gens consciencieux il m’arrivait de mettre la main sur de véritables infortunés, je ne pus jamais me décider à repousser d’une manière absolue la mendicité. Pendant quelques années, je fis une petite rente à des personnes chargées d’aller aux informations pendant quelques heures de la matinée. Elles furent trompées un peu moins que moi, voilà tout, et depuis que je n’habite plus Paris, la correspondance ruineuse de centaines de mendiants continue à m’arriver de tous les points de la France.

Il y a une série de poètes et d’auteurs qui veulent des protections, comme si la protection pouvait suppléer, je ne dis pas seulement au talent, mais à la plus simple notion de la langue que l’on prétend écrire. Il y a une série de femmes incomprises qui veulent entrer au théâtre. Elles n’ont jamais essayé, il est vrai, de jouer la comédie, mais elles se sentent la vocation de jouer les premiers rôles : une série de jeunes gens sans emploi qui demandent le premier emploi venu dans les arts, dans l’agriculture, dans la comptabilité ; ils sont propres à tout apparemment, et bien qu’on ne les connaisse pas, on doit les recommander et répondre d’eux comme de soi-même. De plus modeste