Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 4.djvu/169

Cette page n’a pas encore été corrigée
159
HISTOIRE DE MA VIE

sort qu’un peu moins de marches d’escalier à monter et un peu plus de bûches à mettre au fou.

En m’établissant au quai Malaquais je me crus dans un palais, tant la mansarde de Delatouche était confortable au prix de celle que je quittais. Elle était un peu sombre quoique en plein midi ; on n’avait pas encore bâti à portée de la vue, et les grands arbres des jardins environnants faisaient un épais rideau de verdure où chantaient les merles et où babillaient les moineaux avec autant de laisser-aller qu’en pleine campagne. Je me croyais donc en possession d’une retraite et d’une vie conformes à mes goûts et à mes besoins. Hélas ! bientôt je devais soupirer là comme partout, après le repos, et bientôt courir en vain, comme Jean-Jacques Rousseau, à la recherche d’une solitude.

Je ne sus pas garder ma liberté, défendre ma porte aux curieux, aux désœuvrés, aux mendiants de toute espèce, et bientôt je vis que ni mon temps ni mon argent de l’année ne suffiraient à un jour de celte obsession. Je m’enfermai alors, mais ce fut une lutte incessante, abominable, entre la sonnette, les pourparlers de la servante et le travail dix fois interrompu.

Il y a, à Paris, autour des artistes, une mendicité organisée dont on est longtemps dupe, et dont on continue à être victime ensuite par scrupule de conscience. Ce sont de prétendus vieux artistes dans la misère qui vont de porte en porte avec des souscriptions couvertes de signatures fabriquées ; ou bien des artistes sans ouvrage, des mères qui viennent de mettre leur dernière nippe au mont-de-piété pour donner le pain de la journée à leurs enfants ; ce sont des comédiens infirmes, des poètes sans éditeurs, de fausses dames de charité. Il y a même de prétendus missionnaires, de soi-disant curés. Tout cela est un ramassis d’infâmes vagabonds échappés du bagne oa