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8G HISTOIRE DE MA VIE

faire faire une exception en sa faveur, à force d'obsessions et de démarches, je ne lui en veux pas d'avoir été inhabile à ce genre de succès. Mais ma grand'mère, cfTraj^ce et irrilce des insinuations que le plus tendre intérêt dictait h M. de \illeneuve, écrivit une lettre assez amère à son fils, ce qui lui donna un nouvel accès de fièvre. Sa réponse est pleine de tendresse et de douleur.

LETTRE III

10 fructidor (août 1804).

Je suis, dis-tu, ma bonne mère, un ingrat et un fou. Ingrat, jamais! fou, je le deviendrai peut-être, malade de corps et d'esprit comme me vcilà. Ta leltre me fait beau- coup plus de mal que la réponse du ministre, car lu m'ac- cuses de mon propre gui^non, et tu voudrais que j'eusse fait des miracles pour le conjurer. Je n'en sais point faire en fait de courbettes et d'intrigues. Ne t'en prends qu'à toi- même qui de bonne heure m'as enseigné à mépriser les courtisans. Si tu ne vivais pas depuis quelques années loin de Paris et retirée du monde, tu saurais que le nouveau régime est sous ce rapport pire que l'ancien, et tu ne me ferais pas un crime dôtre resté moi-même. Si l'on avait fait la guerje plus longtemps, je crois que j'aurais conquis mes grades, mais depuis qu'il faut les conquérir dans les antichambres, j'avoue que je n'ai pas sous ce rapport-là de brillantes camp;ign;^s à faire valoir. Tu me reproches de ne te jamais parler de mon inîérieur. C'est toi qui ne l'as jamais voulu ! Est-ce possible quand, au premier mot, tu m'accuses d'être un mauvais fils? Je suis forcé de me taire, car je n'ai à te faire qu'une réponse dont tu no te contentes pas, c'est que je t'aime et que je n'aime personne