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74 HISTOIRE DE MA VIE

temps marche vite, et, après tout, l'iuimanité n'est pas différente de moi, c'esl-à-dirc qu'elle se décourage et sa ra- nime avec une grande facilité. Dieu me préserve de croire, comme Jean-Jacques Rousseau, que je vaux mieux que mes contemporains et que j'ai acquis le droit do les mau- dire! Jean-Jacques était malade quand il voulait séparer sa cause de celle de l'humanité. Nous avons tous souffert plus ou moins en ce siècle de la malalie de Jean-Jacques Rousseau. Trichons d'en guérir avec l'aide de Dieu!

Le S juillet iSOi, je vins au monde, mon père jouant du violon et ma mère ayant une jolie robe rose. Ce fut l'af- faire d'un instant. J'eus du moins cette part de bonheur que me prédi.'ail ma tante Lucie de ne point faire souffrir longtemps ma mère. Je vins au monde fille légitinie, ce qui aurait fort bien pu ne pas arriver si mon père n'avait pas résolument marche sur les prijugcs de sa famille, et cela fut un bonheur aussi, car «ans cela ma grand'mère ne se fut peut-être pas occupée de moi avec autant d'a- mour qu'elle le fit plus laid, et j'eusi-e été privée d'un petit fonds d'idées et de connaissances qui a fait ma consolation dans les ennuis de ma vie.

J'étais lortcment constituée, et, durant toute mon en- fance, j'annonçais devoir être fort belle, promesse que je n'ai point tenue. Il y eut peut-être de ma faute, car à l'âge où la baaulé fleurit, je passais déjà les nuits à lire et à écrire. Étant fille de deux êtres dune beauté parfaite, j'aurais dû ne pas di-générer, et ma pauvre mère, qui esti- mait la beauté plus que tout, m'en faisait souvent de naïfs reproches. Pour moi, je ne pus jamais m'astreindre à soigner ma personne. Autant j'aimo l'extiêmc propreté, autant les recherches de la mollesse m'ont toujours paru insupporlables.

Se priver de travail pour avoir l'œil frais, ne pas courir ya soleil quand ce bon soleil de Dieu vous attire irrésisti-