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70 UISTOIRE DE MA VIE

un heureux jour pour moi ! 11 y en a comme cela dans la vie qui consolent de tous les autres. Ma mère chérie, je t'embrasse 1

Mon pauvre père avait à la fois la vie et la mort dans l'âme ce jour-là. Il venait de remplir son devoir envers une femme qui l'avait sincèrement aimé et qui allait le rendre père une fois de plus. J'ai dit qu'elle avait déjà mis au monde et perdu plusieurs enfants durant cette union, et qu'au moment d'en voir naître encore un, il avait voulu sanctifier son amour par un engagement indissoluble. Mais s'il était heureux et fier d'avoir obéi à cet amour qui était devenu sa conscience même, il avait la douleur de trom- per sa mère et de lui désobéir en secret, comme font les enfants qu'on opprime et qu'on maltraite. Là fut toute sa faute ; car, loin d'être opprimé et mallraité, il eût pu tout obtenir de la tendresse inépuisable de cette bonne mère en frappant un grand coup et en lui disant la vérité.

11 n'eut pas ce courage, et ce ne fut pas certes par manque de franchise; mais il fallait soutenir une de ces luîtes où il savait qu'il serait vaincu. Il fallait entendre des plaintes déchirantes et voir couler ces larmes dont la seule pensée troublait son repos. Il se sentait faible à cet en- droit-là, et qui oserait l'en blâmer sévèrement? Il y avait déjà deux ans qu'il était décidé à épouser ma mère et qu'il lui faisait jurer chaque jour qu'elle y consentirait de son côté, il y avait deux ans qu'au moment de tenir à Dieu la promesse qu'il avait faite, il avait reculé épousante par l'ardente atîeclion et le désespoir un peu jaloux, qu'il avait rencontrés dans le cœur maternel. 11 n'avait pu calmer sa mère durant ces deux années, où de continuelles ab- sences amenaient pour elle de continuels déchirements, qu'on lui cachant la force de son amour et l'avenir de