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HISTOIRE DE MA VIE 57

celui de la position des autres divisions qui bordent la mer, et j'ai envoyé le tout dans une lettre au seigneur Dupont. Nous sommes dans la boue jusqu'aux oreilles. Il n'y a ici ni bons lits pour se reposer, ni bons feux pour se sécher, ni grands fauteuils pour s'étaler, ni bonne mère aux soins excessifs, ni chère délicate. Courir toute la journée pour placer les troupes qui arrivent et dont les baraques ne sont pas encore faites, se crolter, se mouiller, descendre et re- monter la côte cent fois par jour, voilà le métier que nous faisons. C'est la fatigue de la guerre, mais la guerre dé- pouillée de tous ses charmes, puisqu'il n'y a pas à changer de place et pas l'espoir du moindre coup de fusil pour passer le temps en attendant la grande expédition, dont on ne pnrle pas plus ici que si elle ne devait jamais avoir lieu. Ne t'inquiète donc pas, ma bonne mère, rien n'est prêt, et ce ne sera peut-être pas d'un an que nous irons prendre des chevaux anglais.

Tu ne peux pas te faire une idée de la pénurie qui règne ici. Il n'y a dans notre fief d'Oslrohow qu'un seul petit lit sans rideaux, que l'on réserve pour le général. J'ai fait chercher dans Boulogne pour les trois aides de camp, trois matelas et trois lits de sangle, tout est pris. Nous allons jasser notre hiver sur la paille, et, en vérité, je ne m'en plains pas, quand je vois au camp nos malheureux soldats dans des baraques détestables, construites sur un terrain tellement marécageux, qu'elles s'affaissent par leur pro[ re poids et rentrent dans la terre. Us sont couchés littérale- ment dans la boue, et le nombre des malades sera bientôt incalculable. Je voudrais pouvoir faire pour mon lit de vaille le miracle des cinq pains, mais le temps des mira- cles est passé ^.

1. M. Thlers afGrme que le3 soldats étaient fort bien abrités dans les baraques et qu'ils ne manquaient de rien. Telle devait être en etfel l'intention de Bonaparlc. Mais le fait n est ^las tou-