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40 HISTOIRE DE MA VIE

n'ai pas pu rejoindre Caulaincoiirt depuis notre première entrevue; je n'aime pas à obséder, j'attends. Apolline a parlé de moi chez le premier consul ; Ordener se trouvait là, et a fait mon éloge à Eugène Beauharnais et à Clarke.

J'ai enfin vu d'Andrezel, et j'ai dîné hier

chez madame de la Marlière avec l'abbé de Prades.

Paris, ... nivôse.

T*** est au faîte de la faveur. Buonaparte lui a envoyé hier son aide de camp le Marrois pour lui demander en propres termes quelle place il veut avoir. Je m'en réjouis pour lui, il est si bon et si aimable que je suis heureux de le voir content. Mais n'est-il pas étrange qu'on obtienne de belles places, à son propre choix, sans être sorti de sa chambre? Sais-tu l'efifet que ça me fait? Cela me donne une furieuse envie de quitter la partie et d'aller planter nos choux. C'est ce que je ferai certainement si la guerre ne recommence pas bientôt; car je veux bien servir la France, mais je ne veux pas servir dans une cour. Je suis las d'avoir couru le monde et de m'y être ruiné pour arriver à cette certitude que j'aurais mieux fait pour ma fortune de me morfondre dans les antichambres. L'état militaire est si avili aujourd'hui que je n'ose plus mettre l'uniforme dont j'étais si lier il y a un an. Nous ne pou- vons plus même assister à la parade. On ne nous laisse pas seulement entrer dans la cour. Pour ma part, je n'y ai pas essayé, et je ne m'exposerai jamais à de tels affronts. Marongo est bien loin! Je radote, ma bonne mère, je suis toujours dans mes sottes idées de justice et de véritable grandeur. Ah! qu'il est dur de renoncer si vite aux rêves de la jeunesse !