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y avait niante une année de son revenu sans se plaindre.

A courir avec les soldats, mon frère avait pris la rage d'être militaire et il ne fallait plus guère lui parler d'études. Quant à moi, qui avais été comme lui en récréation forcée pendant tout ce temps, j'étais accablée et brisée de mon inaction, car, dès mon plus jeune âge, ne rien faire a toujours été pour moi la pire des fatigues.

Néanmoins j'eus beaucoup de peine à me remettre au travail. Le cerveau est un instrument qui se rouille et qui aurait beswn d'un exercice modéré, mais soutenu. La poli- tique me devenait nauséabonde, Nohant n'était plus aussi recueilli et aussi intime que le passé. Les autorités de la ville voisine avaient été remplacées en grande partie par des royalistes ardents qui venaient faire des visites officielles à ma grand'mère, et là on ne parlait que du trône et de l'autel, et des nouvelles tentatives du parti des jacobins, et des nouvelles répressions paternelles de ce bon gouver- nement qui envoyait à l'échafaud Ney, Labédoyère et autres scélérats. On faisait du zèle devant ma grand'mère parce qu'on la croyait bien lancée dans le monde et influente. Le fait est qu'elle ne l'était ni ne se piquait de l'être. Elle avait passé la seconde moitié de sa vie dans une sorte de retraite qui ne lui avait laissé que peu d'occasions d'être utile , et elle n'était pas charmée de l'ancien régime autant qu'on se l'imaginait.

Pour moi, je n'étais plus tentée de me laisser prendre au royalisme. J'avais honte de passer pour en tenir par solidarité de famille. Je trouvais ma mère trop indifférente à tout cela, et je déblatérais dans mon coin avec Hippohte contre ce roi cotillon que les troupiers nous avaient enseigné à railler et à chansonner en cachette. Mais il fallait nous bien garder d'en rien laisser paraître, Deschartres n'enten- dait pas raison sur ce chapitre et mademoiselle Julie n'avait pas coutume de garder pour elle ce qu'elle entendait.