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HISTOIRE DE MA VIE 47f

des étendards fleurdelisés, brodés, disait-on, par la duchesse d'Angoulême et qu'elle leur avait envoyés en signe de bien- veillance. Les officiers de moindre grade se monlrci^nt irrésolus ou sur la réserve. Les sous-officiers et les soldats étaient tous franchement et courageusement des bonapar- tistes^ comme on disait alors, et quand vint l'ordre défi- nitif de changer de drapeau et de cocarde, nous vîmes brûler des aigles dont les cendres furent littéralement baignées de larmes. Quelques-uns crachèrent sur la cocarde sans tache avant de la mettre à leur shako. Les officiers ralliés avaient hâte de se séparer de ces fidèles soldats et de prendre place dans l'armée réorganisée sur de nouvelles bases et avec un autre personnel. Je pense bien qu'il y en eut beaucoup de trompés dans leurs espérances, et que les belles promesses à l'aide desquelles on leur avait fait opérer sans bruit la dislocation n'aboutirent plus tard qu'à une maigre demi-solde.

Quand les derniers uniformes eurent disparu dans la poussière de nos routes, nous sentîmes tous une grande tristesse et une grande fatigue ; à force de voir marcher, il nous avait semblé avoir marché nous-mêmes. Nous avions assisté au convoi de la gloire, aux funérailles de notre nationalité. Ma grand'mère avait eu des émotions douloureuses et profondes, des souvenirs ravivés ; ma mère, en voyant tous ces jeunes et brillants officiers, avait senti plus que jamais qu'elle n'aimerait plus et que sa vie en- core jeune et pleine s'écoulerait dans la solitude et les regrets. Deschartres avait la tête brisée d'avoir eu tous les jours des centaines de logements à distribuer et à dis- cuter. Tous nos domestiques étaient sur les dents pour avoir servi nuit et jour une quarantaine de personnes et de chevaux pendant deux mois. Les courtes finances de ma grand'mère et sa cave s'en ressentaient, mais elle aimait à faire grandement les honneurs de chez elle et elle