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HISTOIRE DE iMA VIE 469

sir et leur faisait fête. Mais ce royalisme de fraîche date répugnait encore à ma mère, à moi par conséquent, car fe cherchais toujours mon impression dans ses yeux et mon avis sur ses lèvres.

Plus d'un lui fit la cour, car elle était encore charmante, et je crois qu'elle eût pu facilement se remarier honorable- ment à cette époque ; mais elle n'en voulut pas entendre par- ler, et quoiqu'elle fût entourée d'hommages, jamais je ne vis moins de coquetterie et plus de réserve qu'elle n'en montra.

C'était un spectacle imposant que ce continuel passage d'une armée encore superbe dans notre vallée Noire. Le temps fut toujours clair et chaud. Tous les chemins étaient couverts de ces nobles phalanges qui défilaient en bon ordre et dans un silence solennel. C'était la dernière fois qu'on devait voir ces uniformes si beaux, si bien portés, usés par la victoire, comme on l'a dit depuis avec raison, ces belles figures bronzées, ces fiers soldats si terribles dans les combat?, si doux, si humains, si bien disciplinés pen- dant la paix. 11 n'y eut pas un seul acte de maraude ou de brutalité à leur reprocher. Je ne vis jamais parmi eux un homme ivre, quoique chez nous le vin soit à bon mar- ché et que le paysan le prodigue au soldat. Nous pouvions nous promener à toute heure sur les chemins, ma mère et moi, comme en temps ordinaire, sans craindre la moindre insulte. Jamais on ne vit le malheur, la pros- cription, l'ingratitude et la calomnie supportés avec tant de patience et de dignité, ce qui n'empêcha pas qu'ils ne fussent nommés les brigands de la Loire.

Deschartres même jeta les hauts cris parce qu'un volume des Mille et une Nuits fut égaré, et que quatre belles pêches disparurent de l'espalier où il les regardait mûrir; méfaits dont Hippolyte peut-être fut le seul coupable. N'im- porte, Deschartres accusait les brigands, et il ne se calma que loisque ma bonne maîîian lui dit avec un grand sé-

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