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HISTOIRE DE MA VIE 467

petite place de Nohant et les chemins qui y aboutissent virent une foule compacte de cavaliers encore superbes de tenue venir recevoir les ordres du général Colbert. Ce fut l'affaire d'un instant. Muets el sombres, ils se divisèrent et s'éloignèrent dans des directions diverses.

Le général et son état-major parurent résignés. L'idée d'une Vendée patriotique n'était pourtant pas éclose isolé- ment dans la tête de M. de Colbert. Elle avait parcouru les rangs frémissants de l'armée de la Loire ; mais on sait maintenant qu'il y avait là une intrigue du parti d'Orléans à laquelle ils eurent raison de ne point se fier.

Un matin, pendant que nous déjeunions avec plusieurs officiers de lanciers, on parla du colonel du régiment, tombé sur le champ de bataille de Waterloo. « Ce brave colonel Sourd, disait-on, quelle perte pour ses amis et quelle douleur pour tous les hommes qu'il commandait ! C'était un héros à la guerre et un homme excellent dans l'intimité.

— Et vous ne savez ce qu'il esi devenu ? dit ma grand'- mère. — Il était criblé de blessures et il avait un bras fracassé par un boulet, répondit le général. On a pu l'em- porter à l'ambulance ; il a encore vécu après l'événement, on espérait le sauver ; mais depuis longtemps nous n'avon.s plus de ses nouvelles et tout porte à croire qu'il n'est plus. Un autre a pris le commandement du régiment. Pauvre Sourd ! Je te regretterai toute ma vie ! »

Comme il disait ces mots, la porte s'ouvre. Uo officier mutilé, la manche vide et relevée dans la boutonnière, la figure traversée de larges bandes de taffetas d'Angleierre qui cachaient d'eftroyables cicatrices, paraît et s'élance vers ses compagnons. Tous se lèvent, un cri s'échappe de toutes les poitrines ; on .se précipite sur lui, on l'embrasse, on le presse, on l'interroge, on pleure, et le colonel Sourd achève avec nous ce déjeuner qui avait commencé par son éloge funèbre.