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grand Colbert, était un homme d'environ quarante ans, un peu replet et sanguin. Il avait des manières excellentes, des talents agréables ; il chantait des romances champêtres en s'accompagnant au piano ; il était plein de petits soins pour ma grand'mère qui le trouvait charmant, et ma mère disait tout bas que, pour un mihtaire, elle le trouvait trop à l'eau de rose.

Je ne saurais dire si ce jour-là même l'ordonnance de la dislocation de l'armée n'était pas arrivée de Bourges. Que ce fût cette cause ou les maladroites réflexions de Deschartres, le général s'anima. Ses yeux ronds et noirs commencèrent à lancer des flammes, ses joues se colo- rèreiit, l'indignation et la douleur trop longtemps contenues s'épanchèrent, et il parla avec une véritable énergift : « Non! nous n'avons pas été vaincus, s'écria-t-il, nous avons été trahis, et nous le sommes encore. Si nous ne l'étions pas, si nous pouvions compter sur tous nos officiers, je vous réponds que nos braves soldats feraient bien voir en- cx3re à messieurs les Prussiens et à messieurs les Cosaques que la France n'est pas une proie qu'ils puissent impuné- ment dévorer! » Il parla avec feu de l'honneur français, de la honte de subir un roi imposé par l'étranger, et il peignit cette honte avec tant d'âme, que je sentis la mienne se ranimer, comme le jour où j'avais entendu, en 1814, un entant de treize ou quatorze ans parler de prendre un grand sabre pour défendre sa patrie.

Ma grand'mère, voyant que le général s'exaltait de plus en plus, voulut le calmer et lui dit que le soldat était épuisé, que le peuple ne voulait plus que le repos. « Le peuple! s'écria-t-il, ah! vous ne le connaissez pas. Le peuple ! son vœu et sa véritable pensée ne se font pas jour dans vos châteaux. Il est prudent devant ces vieux sei- gneurs qui reviennent et dont il se défie; mais nous au- tres soldats nous connaissons ses sympathies, ses regrets, el,