Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/472

Cette page n’a pas encore été corrigée

462 HISTOIRE DE MA VIE

Ainsi raisonnait ma grand'mère, n'admettant pas une chose que je crois pourtant fort certaine, c'est que si un parti royaliste ne se fût pas formé pour vendre et trahir le pays, l'univers réuni contre nous n'eût pu vaincre l'ar- mée française. Ma mère, qui volontiers reconnaissait la supériorité de sa belle-mère, se laissait tout doucement persuader, et moi par conséquent avec elle. J'étais donc comme désillusionnée de l'Empire et comme résignée à la Restauration, lorsque, par un ardent soleil d'été, nous vîmes reluire sur tous les versants de la vallée Noire les glorieuses armes de Waterloo. Ce fut un régiment de lan- ciers décimé par ce grand désastre qui le premier vint occuper nos campagnes. Le général Colbert établit à No- hant son quartier général. Le général Subervic occupa le château d'Ars, situé à une dcmi-lieue. Tous les jours, ces généraux, leurs aides de camp et une douzaine d'officiers principaux dînaient ou déjeunaient chez nous. Le général Subervic était alors un joli garçon très-galant avec les dames, enjoué, et même taquin avec les enfants. Comme, par sa faute, je m'étais un peu trop familiarisée avec lui et qu'il m'avait tiré les oreilles un peu fort en jouant, je me vengeai, un jour, par une espièglerie dont je ne sen- tais guère la portée. Je découpai une jolie cocarde en pa- pier blanc, et je l'attachai avec une épingle sur la cocarde tricolore de son chapeau, sans qu'il s'en aperçût. Toute l'armée portait encore les couleurs de l'Empire, et l'ordre de les faire disparaître n'arriva que quelques jours plus tard. Il alla donc à La Châtre avec cette cocarde et s'étonna de voir les regards des officiers et des soldats qu'il rencon- trait se fixer sur lui avec stupeur. Enfin, je ne sais plus quoi officier lui demanda rex(>lication de cette cocarde blanche, à quoi il ne comprit rien, et ôtant son chapeau et jetant la cocarde blanche au diable, il me donna à tous les diables pur-dessus le marché.