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HISTOIRE DE MA VIE 459

me rappela, et interpellant Rose en ma présence : — « Ce ' n'est pas la première fois, lui dit-elle, que je remarque combien la petite a peur de toi. Je crois que tu la brutalises. — Mais, dit la rousse indignée de me voir si salie et si tachée, voyez comme elle est faite ! n'y a-t-il pas de quoi perdre patience quand il faut passer sa vie à laver et à raccommoder ses nippes. — Ah ça, dit ma mère d'un ton brusque, t'imagines-tu, par hasard, que je t'ai fait entrer ici pour faire autre chose que laver et raccommoder des nippes ? crois-tu que c'est pour toucher une rente et lire Voltaire comme mademoiselle Julie ? Ote-toi cela de l'esprit, lave, racommode, laisse courir, jouer et grandir mon enfant, c'est comme cela que je l'entends et pas autrement. »

Aussitôt que ma mère fut seule avec moi, elle me pressa de questions. « Je te vois trembler et pâlir quand elle te failles gros yeux, me dit-elle ; elle te gronde donc bien fort ? — Oui, répondis-je, elle me gronde trop fort. — Mais j'espère, reprit ma mère, qu'elle n'a jamais eu le malheur de te donner une chiquenaude, car je la ferais chasser dès ce soir I » L'idée de faire renvoyer cette pauvre fille qui m'aimait tant malgré ses emportements, fit rentrer au fond de mon cœur l'aveu que j'allais faire. Je gardai le silence. Ma mère insista vivement. Je vis qu'il fallait mentir, mentir pour la première fois de ma vie et mentir à ma mère ! mon cœur fit taire ma conscience. Je mentis, et ma mère, toujours soupçonneuse, n'attribuant ma discrétion qu'à la crainte, mit ma générosité à une rude épreuve en me faisant affirmer plusieurs fois que je lui disais la vérité. Je n'en eus point de remords, je l'avoue. Mon mensonge ne pouvait nuire qu'à moi.

A la fin, elle me crut. Rose ne sut pas ce que j'avais fait pour elle. Tenue en respect par la présence de ma mère. elle se radoucit : mais par la suite, quand nous