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HISTOIRE DE MA VIE 457

personnelles et plus vives, et mon imagination eût dû ne nie présenter que le fantôme de ma mère dans l'espèce d'Éden qu'elle m'avait fait envisager un instant, et auquel j'aspirais sans cesse. 11 n'en fut rien pourtant, je pensais à elle à toute lieure et je ne la voyais jamais; au lieu que cette pâle figure de l'empereur que je n'avais vue qu'un instant se dessinait toujours devant moi et devenait vivante et parlante sitôt que j'entendais prononcer son nom.

Pour n'y plus revenir, je dirai que, lorsque le Bellérophon l'emporta à Sainte-Hélène, je fis chavirer le navire en le poussant avec mon épée de feu ; je noyai tous les Anglais qui s'y trouvaient, et j'emportai une fois encore l'empereur aux. Tuileries, après lui avoir bien fait promettre qu'il ne ferait plus la guerre pour son plaisir. Ce qu'il y a de parti- culier dans ces visions, c'est que je n'y étais point moi- même, mais une sorte de génie tout-puissant, l'ange du Seigneur, la destinée, la fée de la France, tout ce qu'ca voudra, excepté la petite fille de onze ans qui étudiait sa leçon ou arrosait son petit jardin pendant les promenades aériennes de son mol fantastique.

Je n'ai rapporté ceci que comme un fait physiologique. Ce n'était pas le résultat d'une exaltation de l'âme ni d'un engouement politique, car cela se produisait en moi dans mes pires moments de langueur, de froideur et d'ennui, et souvent après avoir écouté sans inîérêt et comme malgré moi ce qui .se disait à propos de la politique. Je n'ajoutais aucune foi, aucune superstition à mon rêve, je ne le pris jamais au sérieux, je n'en parlai jamais à personne. 11 me fatiguait, et je ne le cherchais pas. Il s'emparait de moi par un travail de mon cerveau tout à fait imprévu et indépendant de ma volonté.

Le sé-jour des ennemis à Paris y rendait l'existence odieuse et insupportable aux personnes en qui le fanatisme de la royauté n'avait pas étouffé l'amour et le respect de la patrie.

Il- M