Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/463

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE 453

exceptionnellement voué à l'esclavage, à l'injuslice, à l'ennui et à d'éternels regrets.

Qu'on ne me demande donc plus pourquoi, pouvant me targuer d'une espèce d'aristocratie de naissance «t priser les jouissances d'un certain bien-être, j'ai toujours porté ma sollicitude et ma sympathie familière, mon intimité de cœur, si je puis ainsi dire, vers les opprimés. Cette ten- dance s'est faite en moi par la force des choses, par la pression des circonstances extérieures, bien longtemps avant que l'étude de la vérité et le raisonnement de la conscience m'en eussent fait un devoir. Je n'y ai donc aucune gloire, et ceux qui pensent comme moi ne doivent pas plus m'en faire un mérite que ceux qui pensent autre- ment ne sont fondés à m'en faire un reproche.

Ce qu'il y a de certain, ce que l'on ne contestera pas, de bonne foi, après avoir lu l'histoire de mon enfance, c'est que le choix de mes opinions n'a point été un caprice, une fantaisie d'artiste, comme on l'a dit : il a été le résul- tat inévitable de mes premières douleurs, de mes plus saintes affections, de ma situation même dans la vie.

Ma grand'mère, après une courte résistance à l'entraîne- ment de sa caste, était devenue non pas royaliste, mais partisan de Vancien réyinie, comme on disait alors. Elle s'était toujours fait une sorte de violence pour accepter, non pas l'usurpation heureuse de l'homme de génie, mais l'insolence des parvenus qui avaient partagé sa fortune sans l'avoir conquise aux mêmes titres. De nouveaux insolents arrivaient ; mais elle n'était pas aussi choquée de leur arrogance, parce qu'elle l'avait déjà connue, et que d'ailleurs mon père n'était plus là avec ses instincts républicains pour lui en montrer le ridicule.

11 taut dire aussi qu'après la longue tension du règne grandiose et absolu de l'empereur, l'espèce de désordre anarchique qui suivit immédiatement la Restauration avait