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HISTOIRE DE MA VIE 451

avait longtemps d'ailleurs qu'elle avait cessé enlièremcnt ce genre de correction, qu'elle pensait n'être applicable qu'à la première enfance. Rose, procédant au rebours, adoptait ce système à un âge de ma vie où il pouvait m'humilier et m'avilir. S'il ne me rendit point lâche, c'est que Dieu m'avait donné un instinct très-juste de la véritable dignité humaine. Sous ce rapport, je le remercie de grand cœur de tout ce que j'ai supporté et souffert. J'ai appris de bonne heure à mépriser l'injure et le donmiage que je ne mérite pas. J'avais vis-à-vis de Rose un profond sentiment de mon innocence et de son injustice, car je n'ai jamais eu aucun vice, aucun travers qui ait pu moliver ses indignations et ses emportements. Tous mes torts étaient involontaires et si légers que je ne comprendrais pas ses fureurs aujourd'hui, si je ne me rappelais qu'elle était rousse, et qu'elle avait le sang si chaud qu'en plein hiver elle était vêtue d'une robe d'indienne et dormait la fenêtre ouverte.

Je m'habituai donc à l'humiliation de mon esclavage, cl l'y trouvai l'aliment d'une sorte de stoïcisme naturel dont j'avais peut-être besoin pour pouvoir vivre avec une sensi- bilité de cœur trop surexcitée. J'appris de moi-même à me roidir contre le malheur, et, à cet égard, j'étais assez en- couragée par mon frère, qui, dans nos escapades, me disait en riant: « Ce soir, nous serons battus. » Lui, horriblement battu par Deschartres, prenait «on parti avec un mélange de haine et d'insouciance. 11 Sb trouvait vengé par la satire; moi, je trouvais ma vengeance dans mon héroïsme et dans le pardon que j'accordais à ma bonne. Je me guindais même un peu pour me rehausser vis-à-vis de moi-même dans cette lutte de la lorce morale contre la force brutale, et lorsqu'un coup de poing sur la tête m'ébranlait les nerfs et remplissait mes yeux de larmes, je me cachais pour les essuyer. J'aurais rougi de les laisser voir.

J'aurais pourtant mieux fait de crier et de sangloter.