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HISTOIRE DE MA VIE 449

en effet, mais j'ai bien conscience que mon dépit ne venait • pas de l'orgueil contrarié, mais d'un mal plus sérieux, d'une peine de cœur méconnue et froissée.

Jusqu'alors Rose m'avait menée assez doucement, eu égard à l'impétuosité naturelle de son caractère. Elle avait été tenue en bride par la fréquente présence de ma mère à Nohant, ou plutôt elle avait obéi à un instinct qui com- mençait à se modifier, car elle n'était pas dissimulée, paime à lui rendre cette justice. Je pense qu'elle était de la nature de ces- bonnes couveuses qui soignent tendrement leurs petits tant qu'ils peuvent dormir sous leur aile, mais qui ne leur épargnent pas les coups de bec quand ils com- mencent à voler et à courir seuls. A mesure que je me faisais grandelelte, elle ne me dorlotait plus, et, en effet, je n'avais plus besoin de cela; mais elle commençait à me brutaliser, ce dont je me serais fort bien passée. Désirant ardemment complaire à ma grand'mère, elle prenait en sous-ordre le soin et la responsabilité de mon éducation pliysique et elle m'en fit une sorte de supplice. Si je sortais sans prendre toutes les petites précautions indiquées contre le rhume, j'étais d'abord, je ne dirai pas grondée, mais abasourdie; le mot n'est que ce qu'il faut pour exprimer la tempête de sa voix et l'abondance des épithètes inju- rieuses qui ébranlaient mon système nerveux. Si je dé- chirais ma robe, si je cassais mon sabot, si, en tombant dans les broussailles, je me faisais une égratignure qui eût pu faire soupçonner à ma grand'mère que je n'avais pas été bien surveillée, j'étais battue, assez doucement d'abord, et comme par mesure d'intimidation, peu à peu plus sérieusement, par système de répression, et enfin tout à fait par besoin d'autorité et par habitude de violence. Si le pleurais, j'étais battue plus fort; si j'avais eu le malheur de crier, je crois qu'elle m'aurait tuée, car lorsqu'elle était dans le paroxysme de la colère, elle ne se connaissait plus.