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448 HISTOIRE DE MA VIE

d'observation critique qui répondait au côté enjoué de mes instincts. 11 ne venait personne chez nous qu'il ne jugeât, ne devinât et ne sût reprendre et analyser avec beaucoup de pénétration, mais avec trop de causticité. Cela m'amusait assez, et nous étions horriblement moqueurs ensemble. J'avais besoin de gaieté, et personne n'a jamais su comme lui me faire rire. Mais on ne peut pas toujours rire et j'avais encore plus besoin d'épanchement sérieux que de folie à cette époque-là.

Ma gaieté avec lui avait donc souvent quelque chose sinon de forcé, du moins de nerveux et de fébrile. A la moindre occasion, elle se changeait en bouderie et puis en larmes. Mon frère prétendait que j'avais un mauvais caractère, cela n'était pas, il l'a reconnu plus tard; j'avais tout bon- nement un secret ennui, un profond chagrin que je ne pouvais pas lui dire et dont il se fût peut-ê!re moqué comme il se moquait de tout, même de la tyrannie et des bruta- lités de Descharlres.

Je m'étais dit que tout ce que j'apprenais ne me servirait de rien, puisque, malgré le silence de ma mère à cet égard, j'avais toujours la résolution de retourner auprès d'elle et de me faire ouvrière avec elle aussitôt qu'elle le jugerait possible. L'étude m'ennuyait donc d'autant plus que je ne faisais pas comme Hippolyte, qui, bien résolu- ment, s'en abstenait de son mieux. Moi, j'étudiais par obéissance, mais sans goût et sans entraînement, comme une tâche fastidieuse que je fournissais durant un certain nombre d'heures fades et lentes. Ma bonne maman s'en apercevait et me reprochait ma langueur, ma froideur avec elle, ma préoccupation continuelle qui ressemblait souvent à de l'imbécillité et dont Hippolyte me raillait tout le premier sans miséricorde. J'étais blessée de ces reproches et de ces railleries et en m'accusait d'avoir un amour- propre excessif. J'ignore si j'avais beaucoup d'amour-propre