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444 HISTOIRE DE MA. VIE

entre pas comme votre égal, il le profanera ou s'y sentira avili. Tout ce que vous pouvez et devez faire pour l'arra- cher à cette prétendue inégalité à laquelle il croit encore, c'est d'élever sa fonction autant que possible, mais seule- ment dans ce qui est du domaine de sa fonction.

Voilà une bien longue digression, mais je la crois utile pour tout le monde, car je n'exagère pas en disant que tout le monde fait trop ou trop peu dans ce genre de relations, et que personne n'est dans la juste limite qui conviendrait ; pas même moi qui prêche et qui ai souvent subi les tra- vers et les entraînements d'une impatience maladive , ou d'une débonnaireté irréfléchie avec les vieux domestiques, tendres et insupportables tyrans que m'avait légués ma grand'mère. C'est parce que j'ai à regretter de n'avoir pas toujours bien raisonné à cet égard, et d'avoir fait fatale- ment des ingrats , que je me crois le droit d'avertir les autres tout en m'accusant.

Et puis, si ma dissertation n'est pas utile aux autres, elle m'est du moins nécessaire pour commencer le récit d'une époque de ma vie où j'ai été beaucoup trop livrée et très-souvent sacrifiée à l'influence exagérée des domesti- ques.

J'ai dit que la maladie de ma grand'mère avait porté une atteinte sensible, non pas à la lucidité de son intelli- gence, mais à la fermeté et à la sérénité de son caractère. La santé morale était aff'aiblie avec la santé physique , et pourtant elle n'avait que soixante-six ans, âge qui n'est pas fatalement marqué par les infirmités du corps et de l'âme, âge que j'ai vu atteindre et dépasser par ma mère sans amener la moindre diminution dans son énergie morale et physique.

Ma grand'mère ne pouvait plus guère supporter le bruit de l'enfance, et je me faisais volontairement, mais non sans effort et sans souff'raoce, de plus en plus taciturne et im-