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HISTOIRE DE MA VIE /i39

cette race disparaîtra. Elle est presque inconnue dans les* can)pagnes, et pourtant les fermiers, les métayers et les cultivateurs aisés ont aussi des domestiques, avec lesquels ils ne font aucune différence des membres de leur famille. C'est là véritablement que la fonction est comprise et remplie. Si le fermier fouaille quelquefois son porcher, de même il fouaille son enfant. Du reste, maîtres et serviteurs mangent ensemble, et c'était l'usage chez les seigneurs au temps passé ; il est mauvais (outre qu'il est gênant et dis- pendieux) que cet usage se soit perdu, et je ne désespère pas qu'il revienne quand le temps et le progrès auront fait justice de la race des laquais pour ne laisser autour de nous que des fonctionnaires, nos amis^ parfois, nos égaux toujours.

Voilà l'idéal, et là, comme en toutes choses, il faut l'avoir en soi pour se diriger d'une manière équitable au milieu des écueils que nous créent des rapports encore mal enten- dus et mal observés de part et d'autre dans la réalité. Mais, dans cette réalité, il y a une chose triste, doulou- reuse à constater : c'est qu'il y a encore beaucoup de domestiques qui veulent être laquais malgré vous, et que chez les meilleurs il reste encore des préjuges d'inégalité très-difficiles, sinon impossibles à extirper. Voilà pourquoi ce qu'on appelle les bons serviteurs, les vieux et fidèles amis de la famille, ceux qui ont conservé les traditions et les formules du passé, sont, la plupart du temps, acariâtres, tyranniques, impossibles à supporter pour qui se sent l'égal d'un homme et non son esclave sous prétexte d'être son maître. Ces braves gens ont les formes de la soumission, un grand zèle, un amour-propre quasi furieux de bien faire, un dévouement, parfois uu désintéressement admi- rables. Cela était beau dans son temps ; mais faites atten- tion que cela n'est guère possible ni avantageux dans le nôtre.