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4?4 HISTOIRE DE xMA VIE

par les princesses errantes de mes contes de fées : c'était d'emporter mon trésor dans ma poche, et, chaque fois que j'aurais faim en voyage, d'offrir en payement une peile de mon collier, ou une petite brisure de mes vieux ors. Chemin faisant, je trouverais bien un orfèvre à qui je pourrais vendre ma bonbonnière, mon peigne ou ma bague, et je me figurais que j'aurais encore de quoi dé- dommager ma mère, en arrivant, de la dépense que j'al- lais lui occasionner.

Quand je crus m'êlre ainsi assurée de la possibilité de ma fuite, je me sentis un peu plus calme, et dans mes accès de chagrin, je me glissais dans la chambre sombre et déserte, l'allais ouvrir l'encoignure et je me consolais en contem- plant mon trésor, l'instrument de ma liberté. Je commen- çais à être, non plus en imagination, mais en réalité, si malheureuse, que j'aurais certainement pris la clef des champs, sauf à être rattrapée et ramenée au bout d'une heure (chance que je ne voulais pas prévoir, tant je me croyais certaine d'aller vite et de me cacher habilement dans les buissons du chemin), sans un nouvel accident ar- rivé à ma grand'mère.

Un jour, au milieu de son dîner, elle se trouva prise d'un étourdissement, elle ferma les yeux, devint pâle, resta im- mobile et comme pétrifiée pendant une heure. Ce n'était pas un évanouissement, mais plutôt une sorte de catalepsie. La vie molle et sans mouvement physique qu'elle s'était obstinée à mener avait mis en elle un germe de paralysie qui devait l'emporter plus tard et qui s'annonça dès lors par une suite d'accidents du même genre. Deschartrcs trouva ce symptôme très-grave et la manière dont il m'en parla changea toutes mes idées. Je retrouvais dans mon cœur une grande affection pour ma bonne maman quand je la voyais malade ; j'éprouvais alors le besoin de rester auprès d'elle, de la soigner, et une crainte excessive de lui