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432 HISTOIRE DE MA VIE

trouvais installé dans la salle à manger, ayant déjà bar- bouillé une grande page de lettres. On peut croire que je ne le soumettais pas à la méthode de M. Lubin, aussi avait-il une jolie écriture fort lisible. Je corrigeais ses fautes, je le faisais épeler et j'exigeais qu'il se rendit compte du sens des mots, car je me souvenais d'avoir su lire longtemps avant de comprendre ce que je lisais. Cela amenait beaucoup de questions de sa part et d'explications de la mienne. Je lui donnais donc des notions d'histoire, de géographie, etc., ou plutôt de raisonnement sur ces choses, qui étaient toutes fraîches dans ma tête et qui passaient facilement dans la sienne.

Le jour du départ de ma mère, je trouvai Liset (dimi- nutif berrichon de Louis) tout en larmes. 11 ne voulut pas me dire devant Rose la cause de son chagrin, mais, quand nous fûmes seuls, il me dit qu'il pleurait madame Maurice. Je me mis à pleurer avec lui, et, de ce moment, je le pris en amitié véritable. Quand sa leçon était finie, il allait aux champs et il revenait à l'heure de ma récréa- tion. 11 n'était ni gai, ni bruyant. 11 aimait à causer avec moi, et quand j'étais triste il gardait le silence et marchait derrière moi comme un confident de tragédie. Le railleur Hippolyte, qui regrettait bien aussi ma mère, mais qui n'était pas capable d'engendrer une longue mélancolie, l'appelait mon fidèle Achate. Je ne lui confiais pourtant rien du tout, je sentais la gravité du secret que ma mère m'avait confié dans un moment d'entraînement, et je ne voulais pas encore me persuader que ce secret n'était qu'un leurre.

Pourtant les jours succédèrent aux jours, les semaines aux semaines, et ma mère ne m'envoya aucun avis parti- culier; elle ne me fit pas entendre, par le moindre mot à double sens dans ses lettres, qu'elle songeât à notre pro- jet. Ma grand'mèrc s'installa à Nohant pour tout l'hiver.