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HISTOIRE DE MA VIE 431

hébétée. Il me semblait que ma mère était morte et qu'on rendait au silence et à l'obscurité cette chambre où elle ne rentrerait plus.

Ce ne fut que dans la journée que je pus trouver le moyen d'y ren'rer sans être observée, et je courus au portrait, le cœur palpitant d'espérance ; mais j'eus beau secouer et retourner l'image du vieux Francueil, on ne lui avait rien confié pour moi; ma mère, ne voulant pas entretenir dans mon esprit une chimère qu'elle regrettait déjà, sans doute, d'y avoir fait naître, avait cru ne pas devoir me répondre. Ce fut pour moi le dernier coup. Je restai tout le temps de ma récréation immobile et abru- tie dans cette chambre devenue si froide, si mystérieuse et si morne. Je ne pleurais plus, je n'avais plus de larmes et je commençais à souffrir d'un mal plus pro- fond et plus déchirant que l'absence. Je me disais que ma mère ne m'aimait pas autant qu'elle était aimée de moi; j'étais injuste en cette circonstance, mais, au fond, c'était la révéla»ion d'une vérité que chaque jour devait confir- mer. Ma mère avait pour moi, comme pour tous les êtres qu'elle avait aimés, plus de passion que de tendresse. Il se faisait dans son âme comme de grandes lacunes dont elle ne pouvait se rendre compte. A côté de trésors d'amour, elle avait des abîmes d'oubli ou de lassitude. Elle avait trop souffert, elle avait besoin souvent de ne plus souffrir; et moi j'étais comme avide de souffrance, tant j'avais encore de f )rce à dépenser sous ce rapport-là.

J'avais pour compagnon de mes jeux un petit paysan plus jeune que moi de deux années, à qui ma mère en- seignait à lire et à écrire. 11 était alors fort gentil et fort intelligent. Je me fis non-seulement un plaisir, mais comme une religion de continuer l'éducation commencée par ma mère, et j'obtins de ma grand'mère qu'il viendrait prendre sa leçon tous les matins à huit heures. Je le