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aube que je voyais paraître après une nuit de douleur et d'insomnie. Combien d'autres depuis, que je ne saurais compter.

J'entendis rouvrir les portes, descendre les paquets; Rose se leva, je n'osai lui montrer que je ne dormais pas. Elle en eût été attendrie cependant; mais mon amour, à force d'être exalté, devenait romanesque, il avait besoin de mystère. Pourtant lorsque la voiture roula dans la cour, lorsque j'entendis les pas de ma mère dans le cor- ridor, je n'y pus tenir, je m'élançai pieds nus sur le car- reau, je me précipitai dans ses bras, et perdant la tête, je la suppliai de m'emmener. Elle me reprocha de lui faire du mal lorsqu'elle souffrait déjà tant de me quitter. Je me soumis, je retournai à mon lit ; mais lorsque j'enten- dis le dernier roulement de la voiture qui l'empoitait, je ne pus retenir des cris de désespoir, et Rose elle-même, malgré la sévérité dont elle commençait à s'armer, ne put retenir ses larmes en me retrouvant dans cet état pitoyab'e, trop violent pour mon âge et qui aurait dû me rendre folle, si Dieu, me destinant à souffrir, ne m'eût douée d'une force physique extraordinaire.

Je reposai cependant quelques heures, mais à peine fus-je éveillée que je retrouvai mon chagrin, et que mon cœur se brisa à l'idée que ma mère était partie, peut-être pour toujours. Aussitôt habillée, je courus à sa chambre, je me jetai sur son lit défait, je baisai mille fois l'oreiller qui portait encore l'empreinte de sa tête. Puis je m'appro- chai du portrait où je devais trouver une lettre, mais Rose entra et je dus renfermer ma douleur; non pas que cette fille, dont le cœur était bon, m'en eût fait un crime, mais j'éprouvais une sorte d'amère douceur à cacher ma souf- france. Elle se mit à faire la chambre, à enlever les draps, à relever les matelas, à fermer Uis persiennes.

Assise dans un coin, je la regardais faire, j'étais comme