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HISTOIRE DE MA VIE 429

nous contrarier, mais elle avait été souvent réprimandée* pour sa faiblesse dans ces sortes d'occasions et je ne pou- vais plus me fier à elle. D'ailleurs j'avais besoin de voir ma mère sans témoin. Je me renfonçai donc sous mes couvertures, à demi vêtue encore, et je ne bougeai pas. Ma mère passa, Rose resta avec elle une demi-heure, puis vint se coucher. J'attendis encore une demi-heure qu'elle tut endormie, puis bravant tout, j'ouvris doucement ma porte et m'en allai trouver ma mère.

Elle lisait ma lettre, elle pleurait. Elle m'étreignit sur son cœur : mais elle était retombée de la hauteur de notre projet romanesque dans une hésitation désespérante. Elle comptait que je m'habituerais à ma grand'mère, elle se reprochait de m'avoir monté la tête, elle m'engageait à l'oublier. C'étaient des coups de poignard froids comme la mort dans mon pauvre cœur. Je lui fis de tendres reproches et j'y mis tant de véhémence qu'elle s'engagea de nouveau à revenir me chercher dans trois mois au plus tard, si ma bonne maman ne me conduisait pas à Paris à l'hiver et si je persistais dans ma résolution. Mais ce n'était pas assez pour me rassurer; je voulais qu'elle répondît par écrit à l'ardente supplication de ma lettre. Je demandais une lettre d'elle à trouver, après son départ, derrière le portrait, une lettre que je pourrais relire tous les jours en secret, pour me donner du courage et entretenir mon espérance. Elle ne put m'envoyer coucher qu'à ce prix, et j'allai essayer de réchauffer mon pauvre corps glacé dans mon lit encore plus froid. Je me sentais malade; j'aurais voulu dormir comme elle le désirait pour oublier un instant mon an- goisse ; cela me fut impossible. J'avais le doute, c'est-à-dire le désespoir dans l'âme; c'est tout un pour les enfants, puisqu'ils ne vivent que de songes et de confiance en leurs songes. Je pleurai si amèrement que j'avais le cerveau brisé, et quand le jour parut pâle et triste, c'était la première