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426 HISTOIRE DE MA VIE

quels, j'étais gaie, j'étais heureuse ; il rue semblait qu'elle reviendrait me chercher au bout de huit jours. Mon enjoue- ment, ma pétulance étonnèrent ma bonne maman pendant le dîner, d'autant plus que j'avais tant pleuré, que j'avais les paupières presque en sang, et que ce contraste était inexplicable. Ma mère me dit quelques mots à l'oreille pour m'engager à m'observer et à ne pas donner de soupçons ie m'observai si bien, je fus si discrète, que jamais per- sonne ne se douta de mon projet, bien que je l'aie porté quatre ans dans mon cœur avec toutes les émotions de la crainte et de l'espérance ; je ne le confiai jamais, pas même à Ursule.

Pourtant, à mesure que la nuit approchait (ma mère devait partir à la première aube), j'étais inquiète, épou- vantée. Il me semblait que ma mère ne me regardait pas de l'air d'intelligence et de sécurité qu'il aurait fallu pour me consoler. Elle devenait triste et préoccupée. Pourquoi était-elle triste, puisqu'elle devait sitôt revenir, puisqu'elle allait travailler à notre réunion, à notre bonheur? Les en- fants ne doutent pas par eux-mêmes et ne tiennent pas compte des obstacles, mais quand ils voient douter ceux en qui leur foi repose, ils tombent dans une détresse de l'âme qui les fait ployer et trembler comme de pauvres brins d'herbe.

On m'envoya coucher à neuf heures comme à l'ordinaire. Ma mère m'avait bien promis de ne pas se coucher elle- même sans entrer dans ma chambre pour me dire encore adieu et me renouveler ses engagements ; mais je craignis qu'elle ne voulût pas m'éveiller si elle me supposait endor- mie, et je ne me couchai pas; c'est-à-dire que jo me relevai aussitôt que Rose fut partie, car lorsqu'elle m'avait mise au lit, elle redescendait attendre auprès de Julie le coucher de ma grand'mère. Ce coucher était fort long. Ma grand'mère manocait un peu et très-lentement; et puis, pendant qu'on