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424 HISTOIRE DE MA VIE

meurer avec elle. Je ne veux pas de son château et de son argent; je n'en ai pas besoin, qu'elle les donne à Hip- polyte, ou à Ursule, ou à Julie, puisqu'elle aime tant Julie; moi, je veux être pauvre avec toi, et on n'est pas heu- reuse sans sa mère. »

Je ne sais pas tout ce que j'ajoutai, je fus éloquente à ma manière, puisque ma mère se trouva réellement influencée. « Écoute, me dit-elle, tu ne sais pas ce que c'est que la misère pour de jeunes filles ! moi, je le sais, et je ne veux pas que Caroline et toi passiez par où j'ai passé quand je me t^uis trouvée orpheline et sans pain à quatorze ans; je n'aurais qu'à mourir et à vous laisser comme cela ! Ta grand'mère te reprendrait peut-être, mais elle ne prendra jamais ta sœur, et que deviendrait- elle? Mais il y a un moyen d'arranger tout. On peut toujours être assez riche en travaillant, et je ne vois pas pourquoi, moi qui sais tra- vailler, je ne fais plus rien, et pourquoi je vis de mes rentes comme une belle dame. Écoute-moi bien ; je vais essayer de monter un magasin de modes. Tu sais que j'ai été déjà modiste, et que je fais les chapeaux et les coif- fures mieux que les perruches qui coiffent ta bonne maman tout de travers et qui font payer leurs vilains chiffons les yeux de la tête. Je ne m'établirai pas à Paris, il fau- drait trop d'argent; mais, en faisant des économies pen- dant quelques mois, et en empruntant une petite somme que ma sœur ou Pierret me feront bien trouver, j'ouvrirai une boutique à Orléans, où j'ai déjà travaillé. Ta sœur est adroite, tu l'es aussi, et tu auras plus vite appris ce métier- là que le grec et le latin de M. Deschartres. A nous trois, nous suffirons au travail ; je sais qu'on vend bien à Orléans et que la vie n'est pas très-chère. Nous ne sommes pas des princesses, nous vivrons de peu, comme du temps de la rue Grange-Batelière ; nous prendrons plus tard Ursule avec nous. Et puis nous ferons des économies,