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HISTOIRE DE MA VIE 423

seraît pas assez pour Caroline et moi, car la pension et l'entretien de ta sœur m'en coûtent la moitié, et avec ce qui me reste j'ai bien de la peine à vivre et à m'habiller. Tu saurais cela si tu avais la moindre idée de ce que c'est que l'argent. Eh bien, si je t'emmène, et qu'on me relire mille francs par an, nous serons si pauvres, si pauvres, que tu ne pourras pas le supporter, et que tu me rede- manderas ton Nohant et tes quinze mille livres de rente. — Jamais! jamais! m'écriai-je; nous serons pauvres, mais nous serons ensemble ; nous ne nous quitterons jamais, nous tra- vaillerons, nous mangerons des haricots dans un petit gre- nier, comme dit mademoiselle Julie; où est le mal? nous serons heureuses, on ne nous empêchera plus de nous aimer! »

J'étais si convaincue, si ardente, si désespérée, que ma mère fut ébranlée. « C'est peut-é(re vrai, ce que tu dis là, répondit-L'lle avec la simplicité d'un enfant, et d'un géné- reux enfant, qu'elle était. 11 y a longtemps que je sais que l'argent ne fait pas le bonheur, et il est certain que si je t'avais avec moi à Paris, je serais beaucoup plus heureuse dans ma pauvreté que je ne le suis ici, où je ne manque de rien et où je suis abreuvée de dégoûts. Mais ce n'est pas à moi que je pense, c'est à toi, et je crains que tu ne me reproches un jour de t'avoir privée d'une belle éduca- tion, d'un beau mariage et d'une be'le fortune.

— Oui, oui, m'écriai-je, une belle éducation, où l'on veut faire de moi une poupée de bois! un beau mariage, avec un monsieur qui rougira de ma mère et la mettra à la porte de chez moi! une belle fortune, qui m'aura coûté tout mon bonheur el qui me forcera à être une mauvaise fille! Non, j'aime mieux mourir que d'avoir ^toutes Cf^s belles choses-là. Je veux bien ain)er ma grand'mère, je veux bien venir la soigner et faire sa partie de grabuge et de loto quand elle s'ennuiera; mais je ne veux pas de-