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422 HISTOIRE DE MA VIE

Elle avait des jours d'humeur que je ne lui avais jamais vus. Sa susceptibilité devenait excessive. En de certains moments, elle me parlait si sèchement que j'en étais at- terrée. Mademoiselle Julie prenait un empire extraordinaire, déplorable sur son esprit, recevant toutes ses confidences, et envenimant tous ses déplaisirs, à bonne intention sans doute, mais sans discernement et sans justice.

Pourtant ma mère eût supporté tout cela pour moi, si die n'eût été continuellement inquiète de son autre fille. Je le compris, je ne voulais pas que Caroline me fût sa- crifiée, et pourtant Caroline commençait, de son côté, à être jalouse de moi, la pauvre enfant, à se plaindre des absences annuelles de sa mère, et à lui reprocher en san- glotant sa préférence pour moi.

Ainsi nous étions toutes malheureuses, et moi, cause in- nocente de toutes ces amertumes domestiques, j'en ressen- tais le contre-coup plus douloureusement encore que les autres.

Quand je vis ma mère faire ses paquets, je fus saisie de terreur. Comme elle était, ce jour-là, fort irritée des propos de Julie et disait qu'il n'y avait plus moyen de subir l'au- torité d'une femme de chambre devenue plus maîtresse dans la maison que la maîtresse elle-même, jo crus quef ma mère s'en allait pour ne plus revenir ; je devinai, du moins, qu'elle ne reviendrait plus que de loin en loin, et je me jetai dans ses bras, à ses pieds; je me roulai par terre, la suppliant de m'emmencr et lui disant que si elle ne le faisait pas, je me sauverais, et que j'irais de Nohant à Paris, seule et à pied, pour la rejoindre.

Elle me prit sur ses genoux et tâcha de me faire com- prendre sa situation. « Ta grand'mère, me dit-elle, peut me réduire à quinze cents francs si je t'emmène. — Quinze cents francs 1 m'écriai-je, mais c'est beaucoup, cela ! c'est bien assez pour nous trois. — Non. me dit-elle, ce ne