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VI

La lutte domestique s'envenime. — Je commence à connaître le chagrin. — Discussion avec ma mère. — Mes prières, ses promesses, son départ. — Première nuit d'insomnie et de désespoir. — La chambre déserte. — Première déception. — Liset. — Projet romanesque. — Mon trésor. — Accident arrivé à ma grand'mère. — Je renonce à mon projet. —Réflexions sur les rapports qu'on doit avoir avec les domestiques pour arriver aux mœurs de l'égalité. — Ma grand'mère me néglige forcément. — Leçons de Deschartres. — La botanique. — Mon dédain pour ce qu'on m'en- seigne.

Ma mère vint passer un mois avec nous et dut s'en re- tourner pour faire sortir Caroline de pension. Je compris alors que je la verrais désormais de moins en moins à Nohant ; ma grand'mère parlait d'y passer l'hiver. Je tombai dans le plus grand chagrin que j'eusse encore res- senti de ma vie. Ma mère s'efforçait de me donner du courage, mais elle ne pouvait plus me tromper, j'étais d'âge à constater les nécessités de la position qui nous était faite à l'une et à l'autre. L'admission de Caroline dans la famille eût tout arrangé, et c'est sur quoi ma grand'mère était inflexible.

Ma mère n'était point heureuse à Noliant, elle y souf- frait, elle y subissait un étoufîement moral, une contrainte, une irritation comprimée de tous les instants. Mon obsti- nation à la préférer ostensiblement à ma grand'mère (je ne savais pas feindre, quoique cela eût été dans Tintérêt de tout le monde) aigrissait de plus en plus cette dernière contre elle. Kt il faut bien dire que la maladie de cette pauvre grand'mère avait beaucoup changé son caractère.