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HISTOIRE DE MA VIE 415

commune, et ils pleuraient à grosses larmes. C'était un* s[ectacle navrant, et je ne pus me retenir de pleurer aussi.

Comment, au cœur de la France, dans un pays pauvre, il est vrai, mais que la guerre n'avait pas dévasté et où la disette n'avait pas régné celte année-là, nos pauvres soldats expiraient-ils de faim sur une grande route? voilà ce que j'ai vu et ne puis m'i-xpliquer. Nous vidâmes le coffre aux provisions, nous leur donnâmes tout ce qu'il y avait dans les deux voitures. Je crois qu'ils nous dirent que les ordres avaient été mal donnés et qu'ils n'avaient pas [eu de ra- tions depuis plusieurs jours, mais le détail m'échappe.

Les chevaux manquèrent suivent aux relais de poste, et nous fûmes obligés de couclier dans de très-mauvais gites. Dans un de ces gîtes, l'hôte vint causer avec nous après dîner. 11 était outré contre Napoléon de ce qu'il avait laissé envahir la France. 11 disait qu'il fallait faire la guerre de partisans, égorger touo les étrangers, et mettre l'empereur à la porte, et proclamer la République : mais la bonne, disait-il, la vrai, Vune et indivisible et impérissable. Cette conclusion ne fut point du goût de madame de Déranger, elle le traita de jacobin : il le lui fit payer sur sa note.

Enfin, nous arrivâmes à Nohant, mais nous n'y étions pas depuis trois jours qu'un grand chagrin vint donner un autre cours à mes pensées.

Ma grand'mère, qui n'avait jamais été malade de sa vie, fit une maladie grave. Comme son organisation était très- particulière, les accidents de cette maladie eurent un carac- tère particulier. D'abord ce fut un sommeil profond, dont il fut impossible durant deux jours de la tirer ; puis, lorsque tous les symptômes alarmants furent dissipés, on s'aperçut qu'elle avait sur le corps une large plaie gangreneuse, produite par la légère excoriation laissée par les cataplas- mes salins. Cette pla/<î fut horriblement douloureuse et