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HISTOIRE DE MA VIE 4i3

les bataillons ennemis, je les mettais en déroute, je les- précipitais dans le Rhin. Cette vision me soulageait un peu.

Pourtant, malgré la joie qu'on se promettait de la chute du tyran, on avait peur de ces bons messieurs les Cosaques, et beaucoup de gens riches se sauvaient. Madame de Bé- ranger était la plus effrayée ; ma grand'mère lui offrit de l'eiiimener à Nohant, elle accepta. Je la donnais de grand cœur au diable, car cela empêchait ma bonne maman d'em- mener ma mère. Elle n'eût pas voulu mettre en présence deux natures si incompatibles. J'étais outrée de cette préfé- rence pour une étrangère. S'il y avait réellement du danger à rester à Paris, c'était ma mère, avant tout, qu'il fallait soustraire à ce danger, et je commençais à faire le projet d'entrer en révolte et de rester avec elle pour mourir avec elle s'il le fallait.

J'en parlai à ma mère, qui me calma. « Quand même ta bonne maman voudrait m'emmener, me dit-elle, moi, je n'y consentirais pas. Je veux rester auprès de Caroline, et plus on parle de dangers à courir, plus c'est mon devoir et ma volonté; mais tranquillise-toi, nous n'y sommes pas. Jamais l'empereur, jamais nos troupes ne laisseront ap- procher les ennemis de Paris. Ce sont des espérances de vieille comtesse. L'empereur battra les Cosaques à la fron- tière, et nous n'en verrons jamais un seul. Quand ils se- ront exterminés, la vieille Béranger reviendra pleurer ses Cosaques à Paris, et j'irai te voir à Nohant. »

La confiance de ma mère dissipa mes angoisses. Nous partîmes le 12 ou le i3 janvier. L'empereur n'avait pas encore quitté Paris. Tant qu'on le voyait là, on se croyait sur de n'y voir jamais d'autres monarques, à moins que ce ne fût en visite et pour lui baiser les pieds.

Nous étions dans une grande calèche de voyage dont ma grand'mère avait fait l'acquisition et madame de Béranger,