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bien, qu’il était un ambitieux, un monstre. « En ce cas, demandai-je, pourquoi est-ce que ce Talleyrand a accepte quelque chose de lui ? »

Je devais avoir bien d’autres surprises. Tous les jours j’entendais louer des actes de trahison et d’ingratitude. La politique des vieilles comtesses me brisait la tête. Mes études et mes jeux, en étaient troublés et attristés.

Pauline n’était pas venue à Paris cette année-là, elle était restée en Bourgogne avec sa mère, qui, toute femme d’esprit qu’elle était, donnait dans la réaction jusqu’à la rage et attendait les alliés comme le Messie. Dès le jour de l’an, on parla de Cosaques qui avaient franchi le Rhin, et la peur lit taire la haine un instant. Nous allâmes faire visite à une des amies de ma grand’mère vers le Château-d’Eau, c’était, je crois, chez madame Dubois. Il y avait plusieurs personnes, et des jeunes gens qui étaient ses petits-fils ou ses neveux. Parmi ces jeunes gens, je fus frappée du langage d’un garçonnet de treize ou quatorze ans, qui, à lui seul, tenait tête à toute sa famille et à toutes les personnes en visite. « Comment, disait-il, les Russes, les Prussiens, les Cosaques sont en France et viennent sur Paris ? Et on les laissera faire ? — Oui, mon enfant, disaient les autres, tous ceux qui pensent bien les laisseront faire. Tant pis pour le tyran, les étrangers viennent pour le punir de son ambition et pour nous débarrasser de lui. — Mais ce sont des étrangers ! disait le brave enfant, et par conséquent nos ennemis. Si nous ne voulons plus de l’empereur, c’est à nous de le renvoyer nous-mêmes ; mais nous ne devons pas nous laisser faire la loi par nos ennemis, c’est une honte. Il faut nous battre contre eux ! » On lui riait au nez. Les autres grands jeunes gens, ses frères ou ses cousins, lui conseillaient de prendre un grand sabre et de partir à la rencontre des Cosaques. Cet enfant eut des élans de cœur admirables dont tout le