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j’y dormais mieux et que j’y avais de plus jolis rêves.

Malgré la défense de la bonne maman, j’eus pendant deux ou trois soirs la patience d’attendre sans dormir, jusqu’à onze heures, que ma mère fût rentrée dans sa chambre. Alors je me levais sans bruit, je quittais la mienne sur la pointe de mes pieds nus, et j’allais me blottir dans les bras de ma petite mère, qui n’avait pas le courage de me renvoyer, et qui elle-même était heureuse de s’endormir avec ma tête sur son épaule. Mais ma grand’mère eut des soupçons, ou fut avertie par mademoiselle Julie, son lieutenant de police. Elle monta et me surprit au moment où je m’échappais de ma chambre ; Rose fut grondée pour avoir fermé les yeux sur mes escapades. Ma mère entendit du bruit et sortit dans le corridor. Il y eut des paroles assez vives échangées ; ma grand’mère prétendait que ce n’était ni sain ni chaste qu’une fille de neuf ans dormît à côté de sa mère. Vraiment elle était fâchée et ne savait pas ce qu’elle disait, car rien n’est plus chaste et plus sain, au contraire. J’étais si chaste, quant à moi, que je ne comprenais même pas bien le sens du mot chasteté. Tout ce qui pouvait en être le contraire m’était inconnu. J’entendis ma mère qui répondait : « Si quelqu’un manque de chasteté, c’est vous pour avoir de pareilles idées ! C’est en parlant trop tôt de cela aux enfants qu’on leur ôte l’innocence de leur esprit, et je vous assure bien que si c’est comme cela que vous comptez élever ma fille, vous auriez mieux fait de me la laisser. Mes caresses sont plus honnêtes que vos pensées. »

Je pleurai toute la nuit. Il me semblait être attachée physiquement et moralement à ma mère par une chaîne de diamant que ma grand’mère voulait enfin s’efforcer de rompre, et qui ne faisait que se resserrer autour de ma poitrine jusqu’à m’étouffer.

Il y eut beaucoup de froideur et de tristesse dans les