Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/413

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE 403

bientôt de joie. Son fils avait, près de six pieds*. Il avait . une longue barbe noire, et en guise de pantalon, un ju- pon de femme, la robe d'une pauvre vivandière tombée gelée au milieu du chemin.

Je crois que c'est ce même jeune homme qui eut peu de temps après un sort pareil à celui de mon père. Sorti sain et sauf des extrêmes périls de la guerre, il se tua à la promenade; son cheval emporté vint se briser avec lui contre le timon d'une charrette. L'empereur, ayant appris cet accident, dit d'un ton brusque : « Les mères de famille prétendent que je fais tuer tous leurs enfants à la guerre, en voilà un pourtant dont je n'ai pas à me reprocher la mort. C'est comme M. Dupin ! Est-ce encore ma faute si celui-là a été tué par un mauvais cheval? »

Ce rapprochement entre M. de *** et mon père montra la merveilleuse mémoire de l'empereur. Mais à quel pro- pos se plaignait-il ainsi de la haine des mères de famille? C'est ce que je n'ai pu savoir. Je ne me souviens pas de l'époque précise de la catastrophe de M. de ***. Ce devait être dans un moment où la France aristocratique abandon- nait la cause de l'empereur, et oii celui-ci faisait d'amères réflexions sur sa destinée.

Il m'est impossible de me rappeler si nous allâmes à Paris dans l'hiver de 1812 à 1813. Cette partie de mon existence est tout à fait sortie de ma mémoire. Je ne sau- rais dire non plus si ma mère vint à Nohant dans l'été de 1813. 11 est probable que oui, car dans le cas contraire j'aurais eu du chagrin, et je me souviendrais.

Le calme s'était rétabli dans ma tête à l'endroit de la politique. L'empereur était reparti de Paris. La guerre avait recommencé en avril. Cet état de guerre extérieure était

1. On assurait qu'il avait grandi d'un pied pendant la cam- pagne.